Edito d'EXAPTATIONS, par Emmanuel Delannoy, directeur de l'institut INSPIRE
Il y aura 50 ans cette année, était publié aux Etats-Unis « Printemps silencieux 1», de Rachel Carson. L'ouvrage, qui dénonçait l'utilisation massive des pesticides en agriculture, notamment du DDT, allait connaître un retentissement planétaire. Il constitue aujourd'hui encore un des ouvrages fondateurs du mouvement écologiste, et méritait bien à ce titre que l'on célébra son cinquantenaire. A leur manière, en anticipant de quelques mois la date anniversaire de la sortie du livre (au mois de septembre), l'Union européenne et l'Etat français l'ont déjà fait. L'une, en faisant preuve d'un étonnant laxisme sur l'homologation de nouveaux pesticides, alors que leurs dégâts « collatéraux » sont plus que largement démontrés, l'autre, en accordant de plus en plus facilement des dérogations à la réglementation sur les épandages aériens de produits « phytosanitaires », pesticides, fongicides et herbicides. D'où le retour sur nos écrans de l'image, que l'on croyait reléguée au rang des vieux souvenirs, d'avions épandant leur cargaison de pesticides. Image d'ailleurs choisie, pour sa puissance évocatrice, par l'éditeur français de la version « poche » du livre. On peut bien-sûr essayer de ne voir que des symboles dans ces « résonnances » de l'actualité : mais quels symboles ! Décidemment, l'écologie, ça commence à bien faire…
« Y a t-il un parti pour sauver l'écologie ? », demande en couverture le magazine Causette, dont la lecture peut-être recommandée aux hommes autant qu'aux femmes, tant il propose une lecture décapante et décalée de bien des enjeux de société que nous préférerions croire réglés depuis bien longtemps.
Et en effet, en ce printemps 2012, ce n'est pas, heureusement d'ailleurs, le silence des campagnes désertées de leurs oiseaux et insectes que nous devons déplorer, mais bien celui des candidats sur les enjeux environnementaux et en particulier sur celui de la biodiversité. Ce silence assourdissant, relevé par quelques sages comme Hubert Reeves2 dans une récente tribune publiée dans le quotidien Le Monde, contraste de façon saisissante avec l'importance qu'avait pris ce thème lors de la précédente élection présidentielle. Les problèmes auraient-ils été tous réglés depuis ? Bien évidemment non. Mais tout se passe comme si cette campagne électorale n'était qu'une longue récréation, pendant laquelle on parle de tout, sauf des choses vraiment importantes, de tout, sauf de ce qui va vraiment façonner notre futur à moyen et à long terme. On ne parle donc pas de la transition énergétique radicale qui nous attend, ni du changement climatique. On ne parle pas non plus de la qualité de l'eau, ni de sa répartition inégale et délicate, dans l'espace comme dans le temps. On ne parle pas non plus de la biodiversité, des sols, de l'aménagement du territoire, de ce qui fera notre cadre de vie, notre alimentation, notre santé de demain. D'ailleurs, il n'y a pas que d'environnement dont on ne parle pas en ce moment. On ne parle pas non plus, surtout pas, d'économie. Ce n'est donc pas à elle qu'on doit cette relégation de l'écologie au second plan. Non, décidemment, cette campagne électorale, en ce printemps 2012, est bien silencieuse sur les sujets d'importance. On n'y entend pas, jusqu'ici, ce qu'on aimerait y entendre. Aurons-nous droit, dans les derniers jours à un sursaut, ou faudra t-il attendre le 7 mai, que soit enfin sifflé la fin de la récréation, pour qu'on puisse enfin reparler des choses sérieuses ?
1Silent spring, Rachel Carson, Boston, ed. Houghton Mifflin. Version française chez Wildproject
2L'association « Humanité et Biodiversité », que préside l'illustre astrophysicien, a passé au peigne fin les programmes des candidats sur la biodiversité. Force est hélas de constater que ces derniers n'ont pas saisi la hauteur de l'enjeu. Tous les résultats sont visibles sur le site www.humanite-biodiversite.fr